Rouge

Octavie Delvaux, auteure érotique, a proposé récemment d’écrire un court texte sur notre rapport à nos menstruations. Je prends la suite de Clarissa Rivière et Ingrid La douce.

La veille de mes 12 ans, cette tâche rouge est apparue au fond de ma culotte toute blanche.

J’ai considéré cette arrivée impromptue et franchement désagréable.

Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi me tirer de l’enfance si tôt ?

Je n’étais clairement pas prête et pas du tout informée. Quand j’entendais les copines en parler dans la cours de récréation, j’étais rassurée de ne pas encore faire partie du clan de celles qui “les avaient”.

A cette époque, on ne prononçait pas le nom des règles. D’ailleurs ma mère qui avait des problèmes de prononciation disait “règues”. A croire qu’elle aussi les vivait assez mal. Ce mot était hautement tabou, par contre, on racontait des trucs affreux sur le manque d’hygiène des copines. Un sujet de plus dont s’emparait joyeusement la mesquinerie des filles des classes voisines.
J’avais 11 ans trois quarts, j’allais fêter mes 12 ans, et ma maman n’était pas là ce jour là.
Comme tout le matériel concernant la chose était soigneusement caché dans l’armoire de ma mère, je ne savais absolument pas où je trouverai une quelconque protection hygiénique. Je me suis donc dirigée vers mon père, en lui expliquant brièvement que mes règles étaient arrivées.

-“Tu es sûre” m’a-t-il dit ?
– Oui, tu veux voir ? ai-je répondu (je ne sais pas encore pourquoi…)
– Non ! va mettre une couche, ta mère les cache dans l’armoire.” m’a-t-il répondu dégouté.
Je me sentais terriblement mal et honteuse. Ce fut ma première rencontre avec ces saignements qui reviendraient inlassablement ponctuer ma vie de jeune fille.
Je me souviens avoir longuement pleuré cette soirée et cette nuit là. Je détestais mon corps, je haïssais le fait d’être une fille. En plus je souffrais terriblement. J’ai ensuite intercepté quelques conversations parentales. J’ai été choquée et violentée par les mots que j’ai entendus. Bien sûr, je savais qu’être réglée induisait la fertilité, mais à l’époque, je ne pensais clairement pas au sexe.
Mon père n’évoquait plus une enfant quand il parlait de moi, mais clairement d’une fille qui pouvait coucher, et tomber enceinte, voire d’une dépravée, or, j’avais 12 ans et j’étais une enfant. Tomber enceinte, ah, le joli mot, comme tomber amoureuse, à croire que la maternité et l’amour sont deux choses atrocement douloureuses et sales.
J’étais sale, et je ne méritais plus l’amour paternel mais toute sa défiance. Les mois qui ont suivis, j’ai pris conscience que les médecins ne prenaient pas non plus en compte mes douleurs, ni mes saignements intenses qui me clouaient sur les WC pendant plus de 30 mn. Je passais des après-midis allongée sur le clic clac à côté de ma mère qui repassait et qui ne savait pas comment me soulager. Ma vie de jeune réglée était décidément difficile et même ma mère, cette femme qui détenait le secret ne savait pas comment me soulager.

Puis est venu le temps des vacances dans les terrains naturistes. Encore une magnifique expérience de non-tolérance. Vous arborez une culotte ou le maillot de bain de votre maman devant des adultes qui vous accusent de ne pas vouloir vous dévêtir alors que vous vous morfondez d’être trop “visible” parce qu’intérieurement vous ne voulez pas montrer que vous êtes dans cette période honteuse qui vous raccroche à une fausse image d’adulte non accomplie. Vous, la jeune femme qui nait jour après jour mais que vous refusez d’être pour rester la jeune enfant que vous aimez tant. Vieux naturistes, pour une fois, ma mère à pris ma défense mais pas mon père.

Jusqu’à mes 16 ans, j’ai passé quelques moments difficiles, sans traitement puisque les médecins me disaient que je me plaignais pour rien. C’est vrai que lorsque votre tension chute tellement à cause de la fatigue et de la douleur et que vous êtes incapable de répondre aux questions les plus basiques, c’est que vous simulez. Puis les douleurs ont légèrement disparues et j’ai appris à ne plus avoir peur de la tâche sur le pantalon. Je suis rentrée dans la communauté de celles qui les avaient en demandant une serviette à une copine parce que mon horreur de “couche” était tombée dans les WC. Ma mère m’a acheté des culottes “rubis” imperméables qui évitaient les fuites sur le pantalon. J’ai compris que mettre des jupes était pratique car mes collants ne serraient pas mon abdomen douloureux. Je lui ai demandé des serviettes plus fines avec des petites fleurs. Elle a accepté sous le regard amer de mon père.

À 23 ans, lorsque j’ai rencontré mon mari, j’étais toujours honteuse de mes règles. Mes saignements n’avaient pas changé en abondance. Il m’a gentiment expliqué qu’il avait eu deux soeurs et que les règles, il connaissait, et que je ne devais pas en avoir honte. Je n’ai plus eu besoin de me cacher, j’ai pu lui demander une protection quand j’étais dans une position inconfortable, il s’est retrouvé à chercher dans les rayons des tampons, et autres joyeusetés en rentrant du travail. Et moi, je découvrais un homme qui vivait cette période avec bienveillance. J’ai également pris le temps de parler de mes douleurs avec des ostéopathes qui m’ont enfin soulagée en quelques séances. J’ai appris 3 ans après mon deuxième accouchement que mon utérus était totalement rétroversé et que j’étais donc sujette à des dépassements de terme, des douleurs menstruelles plus intenses et des accouchements parfois longs et difficiles. Sur ce point, je suis peut être une exception, car si j’ai eu mal, j’ai accouché très rapidement.

A cette période de ma vie, je ne pensais pas encore qu’on pouvait faire l’amour pendant les règles. J’ai gardé le prétexte de la semaine “rouge” comme une semaine de repos. J’étais finalement sale et intouchable ce qui m’arrangeait car je perdais toute libido. J’ai changé de point de vue lorsque j’ai découvert le libertinage. J’ai découvert des femmes libres et libérées sans tabou et j’ai intérieurement décidée de prendre le même chemin.

Aujourd’hui, à presque 40 ans, j’ai encore du mal à dire à mes amants que j’ai une de ces éponges. Je me sens encore honteuse même si j’ai trouvé des solutions pour continuer à profiter de la vie sans pause.
Aujourd’hui, je pense que si j’avais été correctement entendue et écoutée, je n’aurai pas autant eu aussi mal, et peut être pas autant saignée.
Aujourd’hui, si vous montez dans ma voiture, vous trouverez sans doute une éponge qui traine dans le vide poche de ma voiture. Comme me dit ma fille aînée : “ce n’est pas moi qui laisse trainer mes tampons !”. Ils sont en en forme de coeur, peut être une vision sexiste des menstrues, mais ils me plaisent quand même.
Aujourd’hui, j’ai décidé d’avoir à nouveau mes règles et de changer de moyen de contraception, et je les accueille avec bienveillance.
Demain, je serai la mère qui bercera ses filles et les accompagnera dans cette nouvelle étape de leur évolution d’enfant vers un corps de femme.
Pour ne pas être prise au dépourvue, il y a quelques temps, j’ai pris le parti de parler des règles avec mes enfants. Nous faisions les courses et je voulais un nouveau vernis à ongles. Nous sommes donc entrées dans le rayon “vernis, hygiène”. Nous avons acheté de jolies serviettes roses avec des petites fleurs sur l’emballage parce que c’était mignon.
Nous avons fait des tests avec de la grenadine, parce que les règles ne sont pas bleues contrairement à ce que l’on peut voir à la télévision :/, mais bel et bien rouges ! Plus tard, nous avons dépecé un tampon dans un bar en riant avec leur papa.
Nous avons expliqué qu’en effet, on est fertile avant que les règles arrivent car qu’on a ovulé 14 jours avant.
Nous avons pris le temps de parler, d’expliquer et de répondre aux questions.
Tout le petit matériel est rangé dans la salle de bain aux yeux de tous et parfois dans les wc ;).
J’ai cousu une petite pochette pour que ma fille transporte sans gène une petite protection dans son sac au cas où…
Nous sommes prêts et je me demande même si ma fille me préviendra tellement ce n’est pas tabou !

Je vous conseille ce livre que j’ai lu à mes filles à chaque nouvelle grossesse, il aborde dans un sens: la grossesse, et quand on retourne le livre, les règles qui arrivent. Tout est expliqué ici : “les cousins de la maman sont fatigués il faut les changer alors ils deviennent sang. Un sang qui prend doucement le souterrain pour sortir de la fleur de la dame”.
Sept ans après, ma fille se souvient encore de cette lecture et elle a tout de suite fait le lien avec les menstrues 😉 comme quoi, la littérature jeunesse peut toucher de nombreux sujets avec les bons mots dès le plus jeune âge.

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